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Qui jusqu’à un tel point m’ont bien voulu contraindre,
Qu’aimant vos yeux divins je dois aimer ma mort.
Vrayment je l’aime aussi ; car pront et volontaire,
Voire avecque plaisir, je volle à mon trespas ;
Et, lorsque la Raison me remonstre au contraire
Et m’en veut retirer, je ne l’escoute pas.

Si croy-je aucunesfois qu’il est bon que j’evite,
Pour adoucir mon mal, le feu de vos beaux yeux,
Je le fay, mais en vain ; car rien ne me profite,
Et pour vous esloigner je ne m’en trouve mieux.
Le cerf qui sent d’un trait sa poitrine entamée,
Esloignant le chasseur, n’amoindrit sa douleur ;
Aussi pour vous füir, l’ardeur trop allumée,
Qui fait boüillir mon sang, n’a pas moins de chaleur.

Si donc je ne voy rien qui me soit secourable,
Que ne fay-je dessein de mourir malheureux,
Sans espoir que le ciel, quelque jour favorable,
Change en benin aspect mon astre rigoureux ?
Voila tout le loyer où il faut que j’aspire,
Pour avoir si longtans servi fidellement ;
Toutesfois c’est loyer, quoy que l’on vueille dire,
Car il meurt bien-heureux qui meurt en bien-aimant.


CHANSON


  
L’Amour qui loge en ma poitrine,
Qui mes sens divise et mutine
Et les fait bander contre moy,
Le traistre est de l’intelligence
De ceux qui revoltent la France,
Ennemis de leur jeune roy.

Comme eux il est grand en cautelle,
Travaillant de guerre immortelle
Mon cœur qui l’a si bien reçeu ;
Et d’une modeste feintise
Ses cruels projets il deguise.
C’est ainsi comme il m’a deçeu.

Il m’a fait changer de pensée,
J’ay ma foy premiere laissée,
Et la loy des bons peres vieux ;
Or’ pour toute deïté sainte,
J’adore en honneur et en crainte
La belle clairté de vos yeux.

Les mutins surprennent les villes,
Et par leurs discordes civilles
Comblent tout de sang et de feu ;