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Son pouvoir ! qu’ay-je dit ? Helas ! j’ay fait offence,
C’est le vostre, Diane, auquel je suis soumis,
Et ne reconnoy plus Amour ny sa puissance,
Puis que je vois qu’Amour est de vos ennemis.

Vostre œil seul me commande, et mon cœur tributaire
Ne connoist autre amour, autre empire, autre loy ;
Je supporte ce joug comme un mal necessaire,
Et plus j’en suis contraint, plus s’augmente ma foy ;
Pour tant d’assauts divers, dont mon ame opressée
S’est veuë en vous servant sans pitié recharger,
Jamais je ne changeay ceste ferme pensée :
La mort mesme et le tans ne la pourroient changer.

Je ne déguise point, mon cœur n’est point volage ;
Vous sçavez la grandeur de ma fidelité,
Car les rays de vostre œil lisent dans mon courage ;
Puis on ne peut tromper une divinité.
Si donc vous le sçavez, et qu’ayez connaissance
Que je n’espere rien pour ma ferme amitié,
Au moins faites semblant, pour toute recompanse,
Que vous plaignez ma peine et qu’en avez pitié.

Las ! je sçays que le mal, dont mon ame est saisie,
Vient de m’estre à vos yeux follement hazardé ;
J’en ai perdu la veuë ainsi que Tirésie ;
Le decret de Saturne est pour moy trop gardé.
Toutesfois je ne puis ny ne veux me distraire
De ces flambeaux divins, mon aimable tourment,
Et me plais de languir en si belle misere,
Puizant du malheur mesme un vray contentement.

Vous pouvez bien juger mon amour estre extresme.
Puis que le desespoir ne la peut offencer,
Et que pour vous aimer je fay guerre à moy-mesme,
Secondé seulement de mon triste penser.
Celuy qui bien aimant d’espoir se reconforte,
Ne se peut dire aimer s’il m’est accomparé,
Veu que sans reconfort ma douleur je supporte,
Et que je suis constant estant desesperé.

Les herbes que l’on voit au printans desirable
Ont leurs effets divers et leur proprieté,
Et de tant d’animaux l’un est doux et traitable,
L’autre se bagne au sang et à la cruauté.
Or la proprieté que le ciel m’a donnée,
C’est d’adorer vos yeux, leur faveur poursuivant ;
Et la vostre au contraire est de m’estre obstinée
Et croistre en cruautez mieux j’iray vous servant.

De vous donc je ne puis justement me complaindre,
Mais du ciel inhumain et du mal’heureux sort,