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De Raison, qui vers nous son regard addressa :
Vostre debat, dist-elle, est de chose si grande,
Que pour le bien juger plus long terme il demande.
Et, finis ces propos, en riant nous laissa.


CHANSON


Helas ! que me faut-il faire
Pour adoucir la rigueur
D’un tyran, d’un adversaire
Qui tient fort dedans mon cœur ?

Il me brûle, il me saccage,
Il me perçe en mille pars,
Puis m’abandonne au pillage
De mille outrageux soldars.

L’un se loge en ma poitrine,
L’autre me succe le sang,
Et l’autre, qui se mutine,
De traits me pique le flanc.

L’un a ma raison troublée,
L’autre a volé mes espris,
Laissant mon ame comblée
De feux, d’horreur et de cris.

Tous les moyens que j’essaye,
Au lieu de me profiter,
Ne font qu’enaigrir ma playe
Et ces cruels irriter.

En vain je respan des larmes
Pour les penser émouvoir,
Et n’y puis venir par armes,
Car ils ont trop de pouvoir.

Puis ils ont intelligence
A mon cœur qui s’est rendu ;
Cil où j’avoy ma fiance
M’a vilainement vendu.

Mais ce qui me reconforte
En ce douloureux esmoy,
C’est que le mal que je porte
Luy est commun comme à moy.


COMPLAINTE


Je veux maudire Amour, dieu de sang et de flame,
Et du ciel contre luy la justice esmouvoir,
Outré des passions qui traversent mon ame,
Depuis qu’elle est reduite aux fers de son pouvoir.