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Me perça l’estomach d’une façon si douce,
Que j’estimoy ma peine un desiré repos.

Mais il ne dura guere en ceste douce sorte,
Car, si tost que mon cœur luy eut ouvert la porte,
Et que mes sens craintifs eurent reçeu sa loy,
Il dépoüilla soudain sa feinte couverture,
M’enseignant mon erreur d’avoir fait ouverture
Ainsi legerement à plus puissant que moy.

Il troubla mon esprit d’une guerre immortelle,
Il esmeut mes pensers, il les mit en querelle,
Et fit, pour me laisser en eternel tourment,
De mon cœur son fourneau, ses charbons de mes vaines,
Mes poulmons ses souflets, de mes yeux ses fontaines,
Qui sans jamais tarir, coulent incessamment.

Il banit mes plaisirs et leur donna la fuitte,
Dont le libre repos, que j’avois à ma suitte,
M’abandonna soudain, de frayeur tout surpris ;
Le travail print sa place, et la tristesse extrême,
Les veilles, les soucis, le mespris de soy-mesme,
Qui ne m’ont point lasché depuis que je fus pris.

Je quitay tout soudain ce qui me souloit plaire,
Ma façon se changea, je devins solitaire,
Je portay bas les yeux, le visage et le front ;
J’entretins mon desir d’une esperance vaine,
Je discourus tout seul, et moy-mesme pris paine
De nourrir les douleurs que deux beaux yeux me font.

Je mourus dedans moi, pensant trouver ma vie
Au cœur de la beauté qui me l’avoit ravie ;
Mais depuis je n’ay peu, dont j’ay souffert la mort ;
Et si je semble vif, ne croy pas à ta veuë :
Par la seule douleur ce sorcier me remuë ;
C’est de mon corps charmé l’invisible ressort.

Il me fait voir assez de plus grandes merveilles,
Tirant d’un froid rocher des flammes nompareilles,
Dont il brûle mon cœur sans qu’il soit consumé,
Me donnant pour repas le venin qui me tuë
Et faisant que mon feu dedans l’eau continuë,
Sans que pour tant de pleurs il soit moins allumé.

Il croist de jour en jour sans espoir mon martyre,
Il me fait voller haut sur des ailes de cire,
Puis me fait trébucher quand je vay m’élevant.
Il me rend si pensif, que je me trouve estrange,
Et fait que ma couleur en plus palle se change,
Seiche comme la fleur qui a senty le vant.

Helas ! je change assez de teint et de visage !
Mais je ne puis changer cet obstiné courage,