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Purge-moy tout par tout, le cœur, l’esprit et l’ame,
Et m’eschauffe si bien de ta divine flame,
Que je puisse monstrer ce que je vay suivant,
Et que l’amour, volant qui jusqu’au ciel m’emporte,
Apres la beaute sainte, est bien d’une autre sorte
Que l’aveugle appetit qui nous va decevant.


PROCEZ CONTRE AMOUR


AU SIEGE DE LA RAISON


Chargé du desespoir, qui trouble ma pensée,
Entre mille douleurs dont mon ame est pressée,
Par la rigueur d’Amour, dans sa dure prison,
Un jour, ne pouvant plus supporter ses alarmes,
Ayant l’œil et le cœur gros d’ennuis et de larmes,
Je le fay convertir au siege de Raison.

Là je me presentay si changé de visage,
Que, s’il n’eust eu le cœur d’une fere sauvage,
Je pouvoy l’esmouvoir et le rendre adoucy ;
Puis confus et tremblant, avec la contenance
D’un pauvre criminel pres d’ouïr sa sentence,
Parlant à la Raison, je me suis plaint ainsi :

Royne, qui tiens en nous la divine partie,
Qui nous conduits au ciel, lieu dont tu es sortie,
A toy de ce cruel j’ose me lamanter,
Afin qu’ayant ouy quelle est sa tyrannie,
Et comme estrangement ses sujets il manie,
Par ton juste support je m’en puis exanter.

Sur l’avril gracieux de ma tendre jeunesse,
Que j’ignorois encor que c’estoit de tristesse,
Et que mon pié volloit quand et ma volonté ;
Ce trompeur que tu vois, jaloux de ma franchise,
Masquant de deux beaux yeux sa cruelle entreprise,
Avec un doux accueil deçeut ma liberté.

Mais qui se fust gardé de se laisser surprendre,
Et qui de son bon gré ne se fust venu rendre,
Voyant avecques luy tant de douces beautez ?
Qui ne se fust promis un bien heureux voyage,
Ayant la mer paisible, étant près du rivage,
Et les petits zephyrs soufflans de tous costez ?

Il se monstroit à moy sur tout autre amiable,
Il ne me faisoit voir qu’un printans desirable ;
Son visage estoit doux, doux estoient ses propos,
Et l’œil qui receloit tous les traits de sa trousse