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Les lettres et les arts te doivent leur naissance,
Tu nous as fait aimer la coulante eloquence,
La haute astrologie, et la justice aussi ;
Mesme encor à present, l’accord de la musique,
En te reconnoissant, languist melancholique,
S’il ne plaint la rigueur de ton poignant souci.

Tout rit par où tu passe, et ta veuë amoureuse,
Qui brûle doucement, rend toute chose heureuse ;
La grace, quand tu marche, est tousjours au devant ;
La volupté mignarde en chantant t’environne,
Et le soing devorant qui les hommes talonne,
Quand il te sent venir, s’enfuit comme le vent.

Par toy, le laboureur, en sa loge champestre,
Par toy, le pastoureau, menant ses brebis paistre,
Se plaist en sa fortune et benit ton pouvoir,
Et, d’une vilanelle, en chantant, il essaye
D’amollir Galatée et de guarir sa plaie,
Moderant la chaleur qui le fait esmouvoir.

Les roys, par ta pointure, animez d’allegresse,
Donnent quelquefois tresve au soucy qui les presse ;
Des graves magistrats les chagrins tu desfaits ;
Tu te prens, courageux, aux plus rudes gendarmes,
Et souvent, au milieu des combats et des armes,
Tu chasses la querelle et nous donnes la paix.

Bien que tu sois premier de la bande celeste
En âge et en pouvoir, tu as pourtant le geste
D’un enfant delicat, gracieux et seant ;
Tu es plaisant et beau, tu as le corps agile,
Pront, allaigre et dispos, à se courber facile,
Subtil, gaillard, volage, et tousjours remuant.

Tu delectes les bons, tu contentes les sages,
Tu bannis les frayeurs des plus lâches courages,
Rendant l’homme craintif hautain et genereux ;
Tu es le vif surgeon de toute courtoisie,
Et, sans toy, ne peut rien la douce poësie,
Car un parfait poëte est tousjours amoureux.

O Dieu puissant et bon, seul sujet de ma lyre,
Si jamais que de toy je n’ay rien voulu dire,
Et si ton feu divin m’a tousjours allumé,
Donne-moy pour loyer qu’un jour je puisse faire
Un œuvre à ta loüange éloigné du vulgaire,
Et qui ne suive point le trac accoustumé.