Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


D’une chose sans forme il en fit une ronde,
Que, pour son ornement, on appelle le monde,
Entretenu d’amour, dont il est tout remply ;
Car cet amour tousjours par la beauté l’attire ;
En suivant la beauté, belle forme il desire :
Voilà comme l’amour rend le monde accomply.

S’il a formé le monde, il luy donne durée,
Et rend par bonne paix sa matiere asseurée,
En discordans accords toute chose unissant.
Tout ce qui vit icy recognoist sa puissance :
Car, en entretenant ce qui est en essence,
Fait que ce qui a fin n’est jamais finissant.

En la grandeur des cieux, en l’air et en la terre,
Et en toutes les eaux que l’océan enserre,
Il ne se trouve rien qui n’en soit agité :
Le poisson, au printans, le sent dessous les ondes,
Les ours et les lyons aux cavernes profondes,
Et l’oiseau mieux volant n’a son trait evité.

Les plus lourds animaux, parmy les gras herbages,
Sentans cet aiguillon, qui leur poind les courages,
Bondissent, furieux, pleins d’amoureux desir :
Le toreau suit la vache à travers les montagnes,
Le cheval la jument par bois et par campagnes,
Conservant leur espece, attirez du plaisir.

Jupiter, par luy-mesme, ayant l’âme enflamée,
Coule dedans le sein de sa sœur bien-aimée,
Joyeuse de sentir un tel embrassement ;
Dont grosse puis apres, orgueilleuse, elle enfante
Cent mille et mille fleurs, qu’elle nous represente,
Resjouyssant nos yeux de son riche ornement.

C’est donc, Amour, par toy que les bois reverdissent,
C’est par toy que les blés ès campagnes jaunissent,
C’est par toy que les prez se bigarrent de fleurs ;
Par toy le doux Printans, suivi de la Jeunesse,
De Flore et de Zephyre, etale sa richesse,
Peinte diversement de cent mille couleurs.

Nos ancestres grossiers, qui vivoient aux bocages,
Hideux, velus et nus comme bestes sauvages,
Errans deçà delà sans police et sans loyx,
Se sont, par ton moyen, assemblez dans les villes,
Ont policé leurs mœurs par coustumes civiles,
Ont fait les deïtez, se sont esleu des roys.