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Ils me font souvenir de mes pleurs abondans ;
Et dis en soupirant : Toutes ces eaux ensemble,
Ny tout ce que la mer de rivieres assemble,
N’éteindroient pas le feu qui m’embrase au dedans.

J’ay mille autres pensers, et mille et mille et mille,
Qui font qu’incessamment mon esprit se distile.
Mais cesse, ô ma chanson ! vainement tu pretans :
Conte plus tost, la nuict, les troupes estoilées,
Le gravier et les flots des campagnes salées,
Les fruitages d’automne et les fleurs du printans.


CHANT D’AMOUR


Puis que je suis épris d’une beauté divine,
Puis qu’un amour celeste est roy de ma poitrine,
Puis que rien de mortel je ne veux plus sonner,
Il faut à ma princesse eriger ce trofée,
Et faut qu’à ce grand Dieu, qui m’a l’âme eschauffée.
Je consacre les vers que je veux entonner.

Escrivant de l’amour, Amour guide ma plume ;
En parlant de beauté, la beauté qui m’allume
Vienne seule à ce coup mon courage esmouvoir ;
De deux grands deités la faveur je desire :
Aussi les deïtés qu’en ces vers je veux dire
N’ont rien qui soit égal à leur divin pouvoir.

C’est un grand Dieu qu’Amour, il n’a point de semblable,
De luy-mesme parfait, à luy-mesme admirable,
Sage, bon, cognoissant, et le premier des Dieux.
Sa puissance invincible en tous lieux est connuë,
Son feu pront et subtil, qui traverse la nuë,
Brûle enfer, la marine, et la terre et les cieux.

Si c’est un Dieu puissant, la beauté n’est moins grande ;
La beauté comme Amour en la terre commande,
Son pouvoir regne au ciel sur la divinité ;
L’homme s’en esmerveille, et l’angelique essence
Se ravit bien heureuse en voyant sa presence ;
Aussi l’amour n’est rien qu’un desir de beauté.

Durant le grand debat de la masse premiere,
Que l’air, la mer, la terre et la belle lumiere,
Meslés confusément, faisoient un pesant corps,
Amour, qui fut marry de leur longue querelle,
De la matiere lourde en bastit une belle,
Rengeant les elemens en paisibles accords.