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Le ciel se plaist en elle, et, loüant la nature,
Les mortels bien-heureux s’égayent de l’avoir.

Si tost que je la vey si divine et si belle,
Mon ame incontinant recogneut bien en elle
Le parfait qu’autre-fois elle avoit veu aux cieux ;
C’est pourquoy du depuis saintement je l’adore
Pour la divinité qui la suit et l’honore,
Et croy qu’en l’adorant je fay honneur aux Dieux.

On dit que nous avons une estoille pour guide,
Qui, forte, nous arreste ou nous lasche la bride,
Et qui tient de nos jours le terme limité ;
Mais ma deesse seule est mon astre prospere ;
C’est la loy de ma vie, et ne pourroy rien faire,
Ny ne voudrois aussi, contre sa volonté.

Tous les astres divins qui dans le ciel ont place
Sont nourris des vapeurs de ceste terre basse,
Et de là puis apres ils causent nos humeurs ;
C’est tout ainsi de moy : car ma belle planette
Se repaist des soupirs et des pleurs que je jette,
Puis m’inspire au dessus tant d’ardantes chaleurs.

Et quand aucunesfois sa clarté se retire
De dessus moy, chetif, rien plus je ne voy luire ;
Une ombre espesse et noire obstinément me suit,
Mes yeux, comme aveuglez, demeurent sans conduite ;
Je n’ay rien que tristesse et malheur à ma suitte,
Et si je fay un pas, toute chose me nuit.

Je me pers bien souvent, pensant perdre ma paine,
De rocher en rocher, de fontaine en fontaine,
Comme il plaist au destin qui me rend malheureux ;
Mais je pers seulement mes pas et mon estude,
Car, parmy le silence et par la solitude,
J’ay tousjours à l’oreille un chaos amoureux.

Si je suis par les champs, je reçoy fascherie ;
Si je suis par les prez, je hay l’herbe fleurie ;
Si je suis dans un bois, je n’y puis demeurer,
Et sa belle verdeur accroist ma doleance ;
Car on dit que le verd est couleur d’esperance,
Et, loin de mon espoir, que sçaurois-je espérer ?

En hyver, que je voy les montagnes desertes,
Blanchissantes par tout et de neiges couvertes :
Las ! ce dy-je, ma dame a le teint tout pareil,
Mais que mon noir destin à la neige est contraire
Car la neige se fond quand le soleil éclaire,
Et je me fonds si tost que je pers mon soleil.

Quand je voy les torrens qui des roches desçandent,
Et d’un cours furieux à boüillons se respandent,