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COMPLAINTE


Puis que le ciel cruel, trop ferme en mes malheurs,
S’obstine à me poursuivre et jamais n’a de cesse,
Donnons à sa rigueur des sanglots et des pleurs,
Les pleurs et les sanglots sont fleurs de la tristesse.

Puis que j’esprouve tant de divers changemens,
Et qu’un seul à mes maux n’apparoist favorable,
Pourquoy veux-je languir d’avantage aux tourmens ?
Il vaut mieux n’estre point que d’estre miserable.

Puis que mon clair soleil sur moy plus ne reluit,
Et que de ses rayons la France est despourveuë,
Fermons nos tristes yeux en l’eternelle nuit :
« A qui ne veut rien voir inutile est la veuë. »

Puis que mes vrais soupirs n’ont jamais sçeu mouvoir
Les cieux à divertir cette cruelle absance,
Las ! croiray-je qu’Amour dans le ciel ait pouvoir,
Et qu’il range les Dieux sous son obeïssance ?

En vain deçà delà je vay tournant mes pas,
Mon œil ne choisist rien qu’objets qui le tourmentent ;
Je me cherche en moy-mesme et ne me trouve pas,
Et plus je vay avant, plus mes malheurs s’augmentent.

Comme celui qui voit, au printans émaillé,
Un jardin bigarré de diverse peinture,
Ne le recognoist plus quand il est despoüillé,
Par l’hyver mal plaisant, de grace et de verdure ;

De mesme, en ne voyant, ainsi que je soulois,
Tant de douces beautez de ma chere maistresse,
Je ne recognois plus tous ces lieux où je vois,
Et m’égare en resvant sans voie et sans addresse.

J’erre seul, tout pensif, ignorant que je suis ;
Ma face, estrange à voir, d’eaux est tousjours couverte ;
Tous les jeux de la cour me sont autant d’ennuis,
Servans de refraichir ma douleur et ma perte.

Quand je voy ces combats dressez pompeusement,
A l’espée, à la hache, à la picque, à la lance,
Las ! ce dy-je, qu’Amour me bat bien autrement !
D’un mortel contre un dieu foible est la résistance.

Tout ce qui s’offre à moy ne me fait qu’offenser
Et redoubler l’ennuy dont mon ame est atteinte ;
Seulement je me plais, me mettant à penser
Que jusqu’à ton oreille Amour porte ma plainte.

O Dieu ! s’il est ainsi comme je croy qu’il est,
Que j’estime ma peine un repos agreable !