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Quel bien, pour mon salut, puis-je, helas ! desirer,
Fors qu’elle ait sentiment du mal que j’ay pour elle ?


PLAINTE


Sus ! sus ! mon lut, d’un accort pitoyable,
Plains le depart qui me rend miserable,
Et sur le ton convenable aux douleurs,
Tristement doux, solemnise mes pleurs ;

Et vous, mes yeux, coupables de mes peines,
Debondez-vous, changez-vous en fontaines ;
Mais, pour pleurer des malheurs si nuisans,
Les yeux d’Argus ne seroient suffisans.

Il ne faut plus que j’aye aucune attente
De voir jamais d’objet qui me contente.
Retirez-vous, ô plaisirs peu constans !
Les desespoirs maintenant ont leur tans.

Las ! à quel bien faut-il plus que j’aspire ?
Mon beau soleil maintenant se retire,
Et le flambeau qui souloit m’éclairer
Trahist ma veuë et me laisse égarer.

Ces doux attraits, pleins de chaste rudesse,
Ces vives fleurs d’une belle jeunesse,
L’œil de la cour, son printemps gracieux,
O ciel cruel ! se desrobe à mes yeux.

Maudit Amour, aveugle à ma souffrance,
As-tu donc fait que j’aie eu connoissance
De ses beautez, pour rendre, en m’en privant,
Mon cœur aux maux plus sensible et vivant ?

Toute rigueur m’estoit douce aupres d’elle :
De ce seul trait la plaie estoit mortelle.
Je ne crains plus Jupiter courroucé,
Le ciel sur moy tout son pis a versé.

Le triste jour qu’elle me fut ravie,
Il falloit bien que je fusse sans vie,
Et que ce coup m’eust d’esprit dénué,
Car autrement la douleur m’eust tué.

Las ! ne vivant qu’en des nuicts solitaires,
A quoy, mes yeux, m’estes-vous necessaires ?
Et, n’oyant plus un langage si doux,
Oreilles, las ! de quoy me servez-vous ?

Heureux oiseau dont l’Inde est renommée,
L’œil au soleil ta vie est consommée :
Pourquoy du ciel n’eus-je un destin pareil,
Monrant aux raiz de mon divin soleil ?