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LXIX


Puis qu’on veut que l’image en mon cœur si bien peinte
S’efface avec le tans contre ma volonté,
Je pren congé de vous, ô divine beauté !
Qui reteniez mon ame heureusement contrainte.

En moy toute autre ardeur desormais soit étainte,
Tout espoir, tout desir, toute felicité !
Arriere, ô foible Amour ! qui fais place à la crainte ;
Adieu flambeaux et traits, adieu captivité ;

Adieu lut, compagnon de mes tristes pensées,
Adieu nuicts en discours comme un songe passées,
Desirs, soupirs, regards si gracieux et doux ;

Douleurs, soucis, regrets, saisiront vostre place ;
Car, puis que mon amour par la crainte s’efface,
O plaisirs ! pour jamais je pren congé de vous.


DIALOGUE

Desportes.

Amour, ame des cœurs, esprit des beaux espris,
Je te conjure, enfant, par ta mère Cypris,
Par ton arc, par tes traits, par ta plus chere flame,
Par ces yeux où, si fier, tu siez en majesté,
Par les cris et les pleurs, fruits de ma loyauté,
De dire à ce depart un adieu à ma dame.

Amour.

Que veux-tu que je die ? Hé ! te vaut-il pas mieux,
Toy-mesme, en distilant ta douleur par tes yeux,
La baiser doucement, et prendre congé d’elle ?
Tes pleurs, ta contenance, et la triste langueur
Qui se lit sur ton front, contraindront sa rigueur,
Si son cœur n’est cruel autant comme elle est belle.

Desportes.

Las ! Amour, je ne puis. Le coup que je reçoy,
M’éloignant de ses yeux, me met si hors de moy,
Que ma langue ne peut former une parole.
Je ne fay que crier, gemir et soupirer.
Les petites douleurs se peuvent declarer,
Mais non le desespoir qui rend mon ame folle.

Amour.

Bien donc, puisqu’il te plaist, je m’en vay la trouver,
Mais je me veux armer, afin de n’esprouver