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Ainsi je me suis pris dans l’embusche traîtresse
Qu’Amour avoit tenduë afin de m’attraper,
L’amorçant des regards, d’une belle deesse,
Dont le plus grand des Dieux n’eust sceu libre échaper ;

Si tost que je la vey, mon ame en fut émeuë,
Et ma foible raison soudain m’abandonna ;
Mille petits esprits qui sortoient de sa veuë,
Passerent par mes yeux, dont mon cœur s’estonna ;
Et vey tant de beautés, que, sans faire defance,
Vaincu, je me rendy, ne pouvant mesurer
Comme je me perdois, et que, pour ma souffrance,
Je ne trouveroy rien qui me fist esperer.

Las ! que depuis ce tans j’ay supporté de peines !
Que j’ay perdu de jours, que j’ay veillé de nuicts,
Poursuivy sans cesser d’une rage inhumaine,
Qui de la fin d’un mal fait naistre mille ennuis !
Sa rigueur, toutesfois, me seroit agreable
Si j’avois quelque espoir d’alleger ma douleur ;
« Mais c’est un trop grand mal de languir miserable,
Et n’esperer ny paix ny trêve à son malheur. »

Si la fleche d’amour dont mon ame est blessée,
Ne m’eust touché qu’un bras, je l’eusse separé ;
J’eusse coupé d’un coup la partie offensée
Pour finir le tourment trop long-tans enduré.
Mais, las ! cette poison, tout partout espanduë,
M’envenime le sang, l’ame et l’entendement ;
Mon cœur en est saisi. C’est donc peine perduë
D’esperer que le tans m’y trouve allegement.

Ce qui plus me tourmente et qui croist mon malaise,
C’est qu’encor en souffrant tant d’aspres passions
(O cruauté du ciel !), il faut que je me taise,
Et feigne une liesse en mes afflictions.
Car, durant mes travaux, je prendroy patience,
Voire et m’honorerois de beaucoup endurer,
Si celle que je sers en avoit connoissance,
Et si je luy pouvoy librement declarer.

Ma Diane, mon cœur, ma lumiere et mon ame,
Clef de tous mes pensers, source de mon soucy,
Helas ! sentez-vous point que ma cuisante flame
S’allume de vos yeux et s’en nourrist aussy ?
Ils font que mon ardeur tousjours vive demeure ;
Ils font que mes desirs ne sont jamais lassez,
Et feront que bien-tost il faudra que je meure,
Bien heureux toutesfois si vous le cognoissez.