Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ne peut durer ; il est trop vehement,
Il faut qu’il cesse ou que je prenne cesse.

Toute ma gloire, en si triste avanture,
C’est que je meurs divinement brûlé,
Que mon desir je n’ai point revelé,
Et que mon cœur en est la sepulture.


COMPLAINTE


Depuis l’aube du jour, je n’ay point eu de cesse
De pleurer, de crier et de me tourmenter.
Maudissant l’inhumain qui jamais ne me laisse,
Et semble que mon mal serve à le contenter.
Helas ! je n’en sens point mon ame estre allegée ;
Les pleurs ne rendent point mon cœur plus dechargé ;
Ma fureur, par despit, s’en fait plus enragée,
Et plus cruel l’amour dans mon sang hebergé.

Le jour s’est retiré, voicy la nuict veneuë,
Qui soulage les cœurs des hommes travaillez ;
Mais, plus fiere tousjours, ma douleur continuë,
Et, vainqueurs du sommeil, mes maux sont éveillez ;
Si j’ay souffert le jour quelque angoisse pressante,
Quelque jaloux penser en fureur converty,
La nuict, propre aux soucis, fait que mieux je les sante,
N’estant plus mon esprit des objets diverty.

Le jour ne m’est pas jour, puis que je ne voy chose
Qui me donne liesse et me face esperer ;
La nuict ne m’est pas nuict, puis que je ne repose
Et que je sens la nuict ma douleur s’empirer.
Ah ! Dieu ! que de pensers tournent dedans ma teste !
Que j’en voy sans repos voller devant mes yeux !
Que je suis agité d’orage et de tempeste !
Et si je ne voy rien qui me promette mieux.

J’avois eu d’autres fois la poitrine allumée
Des bluëttes qu’Amour lance au commencement ;
Mais, helas ! ce n’estoit qu’une simple fumée
Aupres du feu couvert qui me va consommant ;
Car ce faux enchanteur, pour nous donner courage
Et nous rendre des siens, se monstre gracieux ;
Puis, si tost qu’il nous tient, il change de visage,
Et, s’il faisoit le doux, il fait l’audacieux.

Comme le simple oiseau, qui ne se peut defendre
De la douceur du chant dont il est abusé,
Et comme le poisson trop goulu se va prendre,
Voulant prendre l’appast du pescheur plus rusé,