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ainsi dire, en famille, et, depuis ce moment, la gêne et l’inquiétude n’osèrent plus franchir sa porte.

Mais le sort ne devait pas respecter une si noble affection. Pendant l’année 1570, Claude de Laubespine tomba malade et mourut. Accablé de chagrin, Desportes fut bien près de le suivre sous terre. Ses lamentations ne nous révèlent point la nature spéciale du trouble organique dont il souffrait : il nous en décrit seulement les symptômes, qui étaient affreux. Le poëte garda six mois le lit. Les douleurs physiques et le regret d’avoir perdu son cher Claude s’unissaient pour le torturer.

Depuis six mois que tu partis d’ici,
Hôte d’un lit, je languis sans merci,
Criant sans cesse à Dieu qu’il me délivre ;

Non qu’il octroye à mon corps guerison
Mais que l’esprit, franc de cette prison,
Oiseau léger, au ciel puisse te suivre.

La souffrance, comme il le dit, tourna son âme vers Dieu et lui inspira plusieurs prières, plaintes et paraphrases, qui composent le début de ses Œuvres chrestiennes. On y entend gémir un vrai désespoir. La mort de son ami lui causait un si profond chagrin qu’il supplie Dieu de lui en pardonner l’excès. « Toi-même, lui dit-il, ô souverain, ô notre unique modèle ! tu n’as pu te défendre de ces angoisses : quand tu vis Lazare couché dans le drap funèbre, tu ne pus retenir tes larmes, et un simple mortel fut pleuré de celui que chantent les séraphins, devant lequel tremblent les cieux. »

Pour comble d’infortune, Desportes, au commencement de l’année, s’était épris d’une grande dame ; le haut rang de la belle personne condamnait le poëte à une extrême réserve, à des ménagements infinis. Elle semblait néanmoins agréer ses hommages inquiets, lorsqu’il tomba malade : un adorateur au lit de mort peut exciter la compassion, mais n’intéresse guère le cœur d’une jeune femme. Quand Desportes sentit les forces lui revenir, il était trop tard : un autre avait pris sa place. Il rima donc un sonnet pour maudire cette malencontreuse année, où il avait fait des pertes si cruelles, et failli terminer son voyage dès la première étape[1].


    sieur de Laubespine, par la résignation qu’il m’en fit à sa survivance, le vingt-cinquième jour du mois d’octobre 1567. Mes lettres furent scellées par feu M. de l’Hospital, et le jour mesme, mon dict seigneur de Laubespine tomba malade, dans le château du Louvre, où il étoit logé, de laquelle maladie il trespassa l’onziesme novembre. »

  1. Voyez le sonnet, page 483.