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Comme j’eus de liesse en sa douce presance.

Pour tenir verde en moy la peine et l’esperance,
Et faire que mon cœur soit plus fort asservi,
Amour, qui n’est jamais de mes pleurs assouvi,
Par mille inventions refraichit ceste absence.

À mes yeux languissans il fait voir tout exprés
Les vulgaires beautez et les foibles attraits
De celles que nostre âge entre toutes revere ;

Lors je cognoy ma perte en voyant leurs défauts,
Et combien de vos yeux les rayons sont plus chauds,
Car rien qui ne soit vous à mon cœur ne peut plaire.


LIV


Je te l’avois bien dit, pauvre cœur desolé,
Que tu ne devois pas si laschement te rendre ;
Mais onc à mes propos tu ne voulus entendre,
Car l’attrait d’un bel œil t’avoit ensorcelé.

Tu vois comme il t’en prend, ton heur s’est envolé,
Tu demeures captif, ton bien est mis en cendre ;
De tes propres desirs tu ne te peux defendre,
Et d’aucun bon espoir tu n’es plus consolé.

Et vous, mes tristes yeux, convertis en fontaines,
Las ! que vous faites bien d’ainsi pleurer vos peines,
Et la dure prison où je suis retenu !

Vous ne verrez plus rien desormais qui vous plaise ;
Mais ce m’est grand confort de vous voir en malaise,
Car pour vostre plaisir ce mal m’est advenu.


LV


Amour brûle mon cœur d’une si belle flame[1],
Et suis sous son pouvoir si doucement traité,
Que, languissant ainsi captif et tourmenté,
Je beny la prison et le feu de mon ame.

Vous autres, prisonniers, que son ardeur enflame,
Souhaitez moins de peine et plus de liberté.
Pour moy, je veux mourir en ma captivité,
Consommé par le feu des beaux yeux de ma dame.

Les travaux, les rigueurs, la peine et le malheur
Embellissent ma gloire, et n’ay plus grand’ douleur

  1. Imité d’un sonnet italien qui commence par cette strophe :

    Si dolce è la passion che mi tormenta,
    Si dolci i lacci, ove mi trovo involto,
    Che essere non vorrei libero e sciolto,
    Ne veder del mio cor la fiamma spenta.