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Pour voir de mes deux yeux un si piteux naufrage.

Les fantômes plaisans qui souloient m’enchanter,
Tristement déguisez, viennent m’espouvanter,
Offrant devant mes sens mainte idole funeste.

O mort ! si c’est le ciel qui te face avancer,
Pour ravir la beauté qu’adore mon penser,
Las ! change à mon destin la fortune d’Alceste !


LI


Heureux anneau de ma belle inhumaine,
Que je t’estime et combien tu me plais !
C’est toy, mignon, qui mes ennuis desfais,
Par les vertus dont ta pierre est si plaine.

A ton objet mon œil se rasseraine,
La peur me fuit, d’espoir je me repais ;
Toute ma guerre est convertie en paix,
Et ne cognois ny tristesse ny paine.

Tu es tout rond : parfaite est la rondeur ;
Tu es tout d’or, pour monstrer la grandeur
De mon amour épuré par la flame.

Du Lydien l’anneau tant renommé,
Qui le fit prince et joüir de sa dame,
S’il estoit mien, ne seroit mieux aimé.


LII


Quand la fiere beauté qu’uniquement j’admire
Faisoit luire à Paris les soleils de ses yeux,
On ne voyoit par tout qu’un printans gracieux,
Et tousjours mollement soupiroit un zéphyre.

Mais, depuis que son œil autre part alla luire,
La France n’a rien veu qu’un hyver soucieux,
Tout noircy de broüillards, obscur et pluvieux,
Et les fiers aquilons furieusement bruire.

Or’ les monts où elle est, qui souloient par avant
Et, l’esté plus ardant, estre battus du vant,
De frimas, de gelée et de glace eternelle,

Sont, au mois de janvier doucement évantez ;
Les eaux parlent d’amour, et, de tous les costez,
On ne voit rien que fleurs et verdure nouvelle.


LIII


Je recherche à toute heure, avec la souvenance,
Ceste unique beauté, qui l’esprit m’a ravy,
Et qui fait que loin d’elle aussi triste je vy,