Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/125

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


XLVIII


Les premiers jours qu’Amour range sous sa puissance
Un cœur qui cherement garde sa liberté,
Dans des filets de soie il le tient arresté,
Et l’émeut doucement d’un feu sans violence :

Mille petits Amours luy font la reverence ;
Il se bagne en liesse et en felicité ;
Les jeux, la mignardise et la douce beauté
Vollent tousjours devant, quelque part qu’il s’avance.

Mais, las ! presque aussi-tost cet heur se va perdant,
La prison s’étrecist, le feu devient ardent,
Les filets sont changez en rigoureux cordage.

Venus est une rose espanie au soleil,
Qui contente les yeux de son beau teint vermeil,
Mais qui cache un aspic sous un plaisant fueillage.


XLIX


Ces eaux qui, sans cesser, coulent dessus ma face,
Les témoins découverts des couvertes douleurs,
Diane, helas ! voyez, ce ne sont point des pleurs :
Tant de pleurs dedans moy ne sçauroient trouver place.

C’est une eau que je fay, de tout ce que j’amasse
De vos perfections, et de cent mille fleurs
De vos jeunes beautez, y meslant les odeurs,
Les roses et les lis de vostre bonne grace.

Mon amour sert de feu, mon cœur sert de fourneau,
Le vent de mes soupirs nourrit sa vehemence,
Mon œil sert d’alambic par où distile l’eau.

Et d’autant que mon feu est violant et chaud,
Il fait ainsi monter tant de vapeurs en haut,
Qui coulent par mes yeux en si grand’ abondance[1].


L


Helas ! de plus en plus, le malheur qui m’outrage
Renforce sa furie et me va poursuivant.
Je sens en pleine mer les ondes et le vant,
A l’heure que je pense estre pres du rivage.

Dieux, soyez-moy benins ! Destournez ce presage,
Faites que ma frayeur ne marche plus avant,
Ou ne permettez pas que je reste vivant

  1. Merveille de recherche et de mauvais goût.