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Je baillonne mes maux, je contrains mon vouloir,
Et tasche à le couvrir d’une façon subtile ;
Mais mon vague penser, et mon œil qui distile,
Confessent haut et clair ce qui me fait douloir.

Ne m’en accusez point, belle et fiere deesse :
Aux cœurs sans passion facile est la sagesse ;
Ceux qui feignent d’aimer sont aisément discrets.

Il en prend autrement aux mortelles attaintes :
« Les fleurs de la douleur, ce sont larmes et plaintes ;
Les tyrans, en tuant, permettent les regrets. »


XLVI


Quand j’approche de vous, et que je pren l’audace
De regarder vos yeux, roys de ma liberté,
Une ardeur me saisit, je suis tout agité,
Et mille feux ardans en mon cœur prennent place.

Helas ! pour mon salut que faut-il que je face,
Sinon vous éloigner contre ma volonté ?
Je le fay, toutesfois, je n’en suis mieux traité,
Car, si j’estois en feu, je suis tout plein de glace.

Je ne sçaurois parler, je devien palle et blanc ;
Une tremblante peur me gele tout le sang ;
Le froid m’étreint si fort, que plus je ne respire.

Hé ! donc, puis-je pas bien vous nommer mon soleil,
Si je sens un hyver m’éloignant de votre œil,
Puis un esté bouillant lors que je le vois luire ?


XLVII


Malheureux fut le jour, le mois et la saison
Que le cruel Amour ensorcela mon ame,
Versant dedans mes yeux, par les yeux d’une dame,
Une trop dangereuse et mortelle poison.

Helas ! je suis tousjours en obscure prison ;
Helas ! je sens tousjours une brûlante flame ;
Helas ! un trait mortel sans relâche m’entame,
Serrant, brûlant, navrant, esprit, ame et raison.

Que sera-ce de moy ? Le mal qui me tourmente,
En me desesperant, d’heure en heure j’augmente,
Et plus je vay avant, plus je suis mal-heureux.

Que maudicte soit donc ma dure destinée,
L’heure, le jour, le mois, la saison et l’année
Que le cruel Amour me rendit amoureux !