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Il me va souvenir de mes larmes brûlantes,
Qui ruissellent d’un cours tousjours s’entre-suivant ;

Et le feuillage sec dont la terre est couverte
Semble à mon esperance, en autre temps si verte,
Mais qui, seche à present, sert de joüet au vant.


XLIII


Solitaire et pensif, dans un bois ecarté,
Bien loin du populaire et de la tourbe espesse,
Je veux bastir un temple à ma fiere deesse,
Pour apprendre mes vœux à sa divinité.

Là, de jour et de nuit, par moy sera chanté
Le pouvoir de ses yeux, sa gloire et sa hautesse ;
Et, devot, son beau nom j’invoqueray sans cesse,
Quand je seray pressé de quelque adversité.

Mon œil sera la lampe ardant continuelle,
Devant l’image saint d’une dame si belle ;
Mon corps sera l’autel, et mes soupirs les vœux.

Par mille et mille vers je chanteray l’office,
Puis, espanchant mes pleurs et coupant mes cheveux,
J’y feray tous les jours de mon cœur sacrifice.


XLIV


O songe heureux et doux ! où fuis-tu si soudain,
Laissant à ton depart mon ame desolée ?
O douce vision ! las ! où es-tu volée,
Me rendant de tristesse et d’angoisse si plain ?

Helas ! somme trompeur, que tu m’es inhumain !
Que n’as-tu plus long-tans ma paupiere sillée ?
Que n’avez-vous encor, ô vous, troupe estoillée,
Empesché le soleil de commencer son train ?

O Dieux ! permettez-moy que toujours je sommeille,
Si je puis recevoir une autre nuict pareille,
Sans qu’un triste reveil me debande les yeux.

Le proverbe dit vray : « Ce qui plus nous contante
Est suivy pas à pas d’un regret ennuyeux,
Et n’y a chose aucune en ce monde constante. »


XLV


Je me travaille assez pour ne faire apparoir
La douleur qui me rend si triste et si debile ;
Mais, helas ! je ne puis ! Il est trop difficile
De porter un grand feu sans qu’on le face voir.