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Apprenant à mon cœur, en tenebres laissé,
Qu’apres un peu de joye on sent mieux la tristesse.


XLI


S’il est vray que le ciel ait sa course eternelle,
Que l’air soit inconstant la mer sans fermeté,
Que la terre en hyver ne ressemble à l’esté,
Et que pour varier la nature soit belle ;

S’il est vray que l’esprit, d’origine immortelle,
Cherchant tousjours d’apprendre, aime la nouveauté,
Et si mesme le corps, pour durer en santé,
Change, avec les saisons, de demeure nouvelle,

D’où vient qu’estant forcé, par la rigueur des cieux,
A changer, non de cœur, mais de terre et de lieux,
Je ne guarisse point de ma vive pointure ?

D’où vient que tout me fasche et me desplaise tant ?
Helas ! c’est que je suis seul au monde constant,
Et que le changement est contre ma nature.


CHANSON


Helas ! tyran plein de rigueur,
Modere un peu ta violence !
Que te sert si folle despence ?
C’est trop de flames pour un cœur.

Espargnes-en quelque estincelle
Et la garde, afin d’émouvoir
La fiere qui ne veut point voir
En quel feu je brûle pour elle.

Execute, Amour, ce dessein,
Et rabaisse un peu son audace :
Son cœur ne doit estre de glace,
Bien qu’elle ait de neige le sein.


XLII


Or’ que bien loin de vous je languys soucieux,
Fuyant tout entretien, je pense à mon martire,
Et ne sçauroy rien voir, quelque part que je tire,
Qui ne blesse aussi-tost mon esprit par mes yeux.

Quand je voy ces hauts monts qui voisinent les cieux,
Je pense à la grandeur du bien que je desire,
Et pense, oyant les vents en leur caverne bruire,
Que ce soient de mon cœur les soupirs furieux.

Quand je voy des rochers les sources distilantes,