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XXXVI


Pour me recompenser de tant de passion
Que supporte mon cœur, devot à ton service,
Te l’offrant pour victime, en flambant sacrifice,
Et me rendant pour toy compagnon d’Ixion :

Non, ne paye ma foy d’aucune affection ;
Puis que c’est ton vouloir, il faut que j’obeïsse.
Paye moy de rigueur, paye moy d’injustice,
Je n’en puis estre moins à ta devotion.

Preste moy seulement ceste œillade divine
Qui me combla d’amour le cœur et la poitrine,
Et qui d’un feu cuisant m’embrasa les espris,

Afin qu’en me joüant soudain je te regarde,
Et que cent mille amours dans le sein je te darde,
Alors tu seras prise au jeu que tu m’as pris.


XXXVII


Amour, quand fus-tu né ? Ce fut lors que la terre
S’émaille de couleurs et les bois de verdeur.
De qui fus-tu conçeu ? D’une puissante ardeur
Qu’oisiveté lascive en soy-mesmes enserre.

Qui te donne pouvoir de nous faire la guerre ?
Les divers mouvemens d’esperance et de peur.
Où te retires-tu ? Dedans un jeune cœur
Que de cent mille traits cruellement j’enferre.

De qui fus-tu nourry ? D’une douce beauté,
Qui eut pour la servir jeunesse et vanité.
De quoy te repais-tu ? D’une belle lumiere.

Crains-tu point le pouvoir des ans et de la mort ?
Non ; car, si quelque-fois je meurs par leur effort,
Aussi-tost je retourne en ma forme premiere.


XXXVIII


Celle à qui j’ay sacré ces fleurs de ma jeunesse,
Mes vers (enfans du cœur), mon service et ma foy,
Par qui seule j’espere, en qui seule je croy,
Des Jardins[1], c’est ma cour, ma royne et ma princesse.

  1. Jean des Jardins, médecin de François Ier. Il était venu au monde dans les environs de Laon, et professa les humanités avant d’étudier la médecine. Reçu docteur en 1519, il enseigna bientôt l’art de guérir. La Pléiade lui témoignait une grande faveur, parce qu’il exhortait la jeunesse à apprendre le grec. Il passait pour triompher de toutes les maladies tant que l’heure fatale n’était pas sonnée. Il mourut subitement, en 1549, pendant qu’il célébrait avec ses parents et ses amis le jour anniversaire de sa naissance.