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Ce n’est rien que le teint de l’Aurore vermeille,
Ce n’est rien que de voir, aux longues nuicts d’hyver,
Parmy le firmament mille feux arriver,
Et n’est vray que le ciel cache plus de merveille.

Je la vois quelquefois, s’elle se veut mirer,
Esperdüe, estonnée, et long-tans demeurer
Admirant ses beautez, dont mesme elle est ravie :

Et cependant (chestif !) immobile et poureux,
Je pense au beau Narcis de soy-mesme amoureux,
Craignant qu’un sort pareil mette fin à sa vie.


XXXIV


Celuy que l’Amour range à son commandement
Change de jour en jour de façon differente ;
Helas ! j’en ay bien fait mainte preuve apparente,
Ayant esté par luy changé diversement.

Je me suis veu muer, pour le commencement,
En cerf qui porte au flanc une fleche sanglante ;
Apres je devins cygne, et, d’une voix dolante,
Je présagé ma mort, me plaignant doucement.

Depuis je devins fleur languissante et panchée,
Puis je fus fait fontaine, aussi soudain sechée,
Espuisant par mes yeux toute l’eau que j’avois ;

Or je suis salemandre et vy dedans la flame ;
Mais j’espere bien-tost me voir changer en vois,
Pour dire incessamment les beautez de ma dame.


XXXV


Par vos graces, madame, et par le dur martire
Qui me rend en aimant triste et desesperé,
Par tous les lieux secrets où j’ay tant soupiré,
Et par le plus grand bien qu’un amoureux desire ;

Par ces beaux traits qu’Amour dedans vos yeux retire,
Par les lys de vos mains, par vostre poil doré,
Et où rien de plus grand pourroit estre juré,
Je l’appelle à témoin de ce que je veux dire :

Jamais d’autres beautés mon œil ne sera pris ;
Doux espoir de mes maux, cher feu de mes espris,
Vous serez ma recherche et premiere et derniere ;

Et mon cœur cessera d’idolatrer vos yeux
Lorsqu’on ne verra plus au soleil de lumiere,
D’eaux en mer, d’herhe aux prez, et d’estoilles aux cieux.