Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/114

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il ne me frappe en nulle part
Qu’au cœur, où tousjours il me blesse.

Il a donc des yeux et voit bien,
A quelque but qu’il vueille attaindre ;
Mais il est sourd et n’entend rien,
On a beau soupirer et plaindre.

S’il eust ouy tant de regrets,
De cris, de sanglots et de plaintes,
Que je lache aux lieux plus secrets,
Témoins de mes dures attaintes,

Quand il n’eust point eu d’amitié
Et qu’il eust tout brûlé de rage,
Je suis seur qu’il eust eu pitié
Et qu’il eust changé de courage.

Que me faut-il donc esperer,
Suivant ce Dieu plein de furie ?
Il voit bien pour me martirer,
Et n’entend rien quand je le prie.


XXI


On ne voit rien qui soit si solitaire
Comme je suis, lors que je ne puis voir
Ces deux beaux yeux, ma gloire et mon pouvoir,
Dont l’orient mes tenebres éclaire.

Tout eperdu, je ne sçaurois rien faire
Que soupirer, me plaindre et me douloir,
Blasmant la nuict, qui me fait recevoir
De deux soleils une eclipse ordinaire.

Et dy tout has : « Ah ! ce n’est pas à tort
Que l’on te nomme, ô Nuict ! sœur de la Mort,
Qui tant de fois as mon ame ravie !

Durant le jour, je voy, j’ay mouvement.
Es-tu venue ? helas ! cruellement,
On me ravit ma lumiere et ma vie ! »


XXII


Eloignant vos beautés[1], je vous laisse en ma place
Mon cœur, qui, comme moy, point ne vous laissera :
Plustost d’un trait doré Venus vous blessera,
Plustost de vos rigueurs s’amollira la glace.

Ne vous attendez pas qu’aucun malheur le chasse,
Car, aupres de vos yeux, rien ne l’offensera,

  1. M’éloignant de vos beautés.