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De ses regards les sagettes[1] meurtrieres ?

Autre penser dans mon cœur ne se tient :
Comme celuy qui la fievre soustient,
Songe tousjours des eaux et des rivières.


XX


L’aspre fureur de mon mal vehement
Si hors de moi m’étrange et me retire,
Que je ne sçay si c’est moi qui soupire,
Ny sous quel ciel m’a jeté mon tourment.

Suis-je mort ? Non ; j’ay trop de sentiment,
Je suis trop vif et passible au martire.
Suis-je vivant ? Las ! je ne le puis dire
Loin de vos yeux par qui j’ay mouvement !

Serait-ce un feu qui me brûle ainsi l’ame ?
Ce n’est point feu : j’eusse esteint toute flame
Par le torrent que mon dueil rend si fort.

Comment, Belleau[2], faut-il que je l’appelle ?
Ce n’est point feu que ma peine cruelle,
Ce n’est point vie, et si ce n’est point mort.


CHANSON


Ceux qui peignent Amour sans yeux
N’ont pas bien sa force cognue ;
Il voit plus clair qu’aucun des Dieux :
Las ! j’ai trop essayé sa vue !

Souvent, en pensant me sauver,
Je m’égare aux lieux solitaires ;
Mais il ne faut à me trouver
Dans les plus sauvages repaires.

Quoy que je coure incessamment
Par deserts, montagnes et plaines,
Il ne m’éloigne aucunement[3],
Et me fait souffrir mille peines.

Helas ! a-t-il mauvais regard ?
De cent mille traits qu’il m’adresse,

  1. Flèches.
  2. Remi Belleau, poëte fameux, né à Nogent-le-Rotrou, en 1528. Le marquis d’Elbeuf, général des galères de France, l’emmena en Italie comme précepteur de son fils. Il devint une des sept étoiles de la Pléiade, et sembla marquer une préférence pour les descriptions de la nature. Il traduisit en vers les Odes d’Anacréon, les Phénomènes d’Aratus. On lui doit une des plus anciennes pièces de notre théâtre, la Reconnaissance. Il mourut l’année même où on l’imprima, en 1577.
  3. Il ne reste jamais en arrière, jamais loin de moi.