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Je voy le gouffre et je m’y vay plonger :
« Quand on ne peut éviter un danger,
C’est le meilleur d’y courir volontaire. »

Sentant au cœur l’amoureuse poison,
Je serois fol d’esperer guarison,
Vu de quel trait ma poitrine est attainte ;

Puis des malheurs qui sont predestinez,
Le seul remede aux cœurs determinés,
C’est de n’avoir esperance ny crainte.


XVIII


Ny les dédains de son jeune courage[1],
Moqueur d’Amour et de sa deïté ;
Ny mon desir trop hautement porté,
Ny voir ma mort escrite en son visage ;

Ny mon vaisseau prest à faire naufrage,
Le mast rompu, sans voile et sans clarté ;
Ny les soucis dont je suis agité,
Ny la fureur du feu qui me saccage ;

Ny tant de pleurs sans profit respandus,
Ny ses propos qui me sont deffendus,
Ny de mon mal avoir la cognoissance ;

Ny la rigueur d’un triste éloignement
Me sortiront de son obeïssance :
« Douce est la mort qui vient en bien aimant[2]. »


XIX


Las ! que me sert de voir ces belles plaines
Pleines de fruits, d’arbrisseaux et de fleurs,
De voir ces prez bigarrez de couleurs,
Et l’argent vif des bruyantes fontaines ?

C’est autant d’eau pour reverdir mes peines,
D’huile à ma braise, à mes larmes d’humeurs,
Ne voyant point celle pour qui je meurs,
Cent fois le jour, de cent morts inhumaines.

Las ! que me sert d’estre loin de ses yeux
Pour mon salut, si je porte en tous lieux

  1. Cœur.
  2. Imité d’un sonnet italien qui débute de cette manière :

    Ne di selvaggio cuor feroce sdegno,
    Ne crude voglie nel mio danno accorte,
    Ne il veder già le mie speranze morte,
    Ne il lungo affanno lacrimoso e’ ndegno, etc.