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Je suis las de moy-mesme et me suis odieux ;
Bref, je ne puis mourir, et si je ne puis vivre.


XV


Un jour l’aveugle Amour, Diane et ma maistresse,
Ne pouvans s’accorder de leur dexterité,
S’essayerent de l’arc à un but limité,
Et mirent pour le prix leur plus belle richesse.

Amour gaigea son arc, et la chaste deesse
Qui commande aux forests, sa divine beauté ;
Ma maistresse gaigea sa fiere cruauté,
Qui me fait consommer en mortelle tristesse.

Las ! ma dame gaigna, remportant pour guerdon
La beauté de Diane et l’arc de Cupidon,
Et la dure impitié dont son ame est couverte.

Pour essayer ses traits, elle a perçé mon cœur ;
Sa beauté m’esbloüit, je meurs par sa rigueur :
Ainsi sur moy, chétif, tombe toute la perte.


XVI


Ayant (brûlé d’amour) gemi, crié, pleuré,
Sans que vostre froideur s’en peust voir attiedie,
J’invoquay tant la mort, qu’une aspre maladie
S’offre à me delivrer du martire enduré.

J’avoy l’œil et le teint cave et defiguré ;
J’avoy perdu l’esprit, la parole et l’ouïe,
Et m’estimois heureux que la fin de ma vie
Donnast fin aux rigueurs d’un mal si desploré.

Mais vous, belle tyranne, aux Nerons comparable,
Feignant un œil piteux de me voir miserable,
Me rendistes l’esprit pour revivre au tourment.

Las ! si quelque pitié peut en vous trouver place,
Consentez à ma mort, je la requiers pour grace :
« Le tyran est benin qui meurtrit[1] prontement. »


XVII


Je le sçay trop, qu’il ne faut que j’espere,
Brûlant pour vous, de me voir alléger ;
Et toutesfois je ne veux m’estranger
De vos beaux yeux, ainçois de ma misere.

Le desespoir m’a rendu temeraire,

  1. Tue, assassine.