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Nous a tous deux rangez presque en la mesme sorte,
Et presqu’un mesme mal nous contraint soupirer.

Aimant comme tu fais, tu ne dois esperer
Qu’aucun allegement tes ennuis reconforte ;
Aimant comme je fay, mon esperance est morte :
Car ce n’est aux mortels d’y penser aspirer.

Tous deux nous endurons mille et mille destresses,
Tous deux nous adorons en esprit nos maistresses,
N’osans leur découvrir nos soucys rigoureux.

Console-toy, Vallon, comme je me console ;
Encor est-ce un confort à l’homme malheureux,
D’avoir un compagnon au malheur qui l’affole.


XIII


Durant les grand’s chaleurs, j’ai vu cent mille fois,
Qu’en voyant un éclair flamboyer en la nue,
Soudain comme transie et morte devenue,
Tu perdois tout à coup la parole et la vois.

De pouls ny de couleur tant soit peu tu n’avois,
Et, bien que de l’effroy tu fusses revenue,
Si n’osois-tu pourtant dresser en haut la vue,
Voire un long-tans apres parler tu ne pouvois.

Donc si, quand un propos devant toy je commence,
Tu me vois en tremblant changer de contenance,
Demeurer sans esprit, pasle et tout hors de moy :

Ne t’en estonne point, belle et cruelle dame,
C’est lorsque les éclairs de tes beaux yeux je voy,
Qui m’esbloüissent tout de leur perçante flame.


XIV


Las ! qui languit jamais en si cruel martire,
En si penibles nuicts, en si malheureux jours ?
Qui s’égara jamais dans si confus destours ?
Qui jamais recognut si rigoureux empire ?

Je souffre un mal present, j’en doute[1] encor un pire,
Je voy renfort de guerre, et n’attens nul secours ;
Mes maux sont grans et forts, mes biens foibles et cours,
Et plus je vay avant, plus ma douleur s’empire.

A toute heure, en tous lieux, de tout je me déplais,
La nuict est mon soleil, le discord est ma pais,
Je cours droit au naufrage et fuys ce qu’il faut suivre ;

Je me fache en fachant les hommes et les dieux

  1. Crains.