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Et que je sens par toy mon tourment augmenté ?

Je ne fay que tourner d’un et d’autre costé,
Je choisi tous tes coings, je cherche et me remüe ;
Et mon cœur qui ressemble à la marine[1] esmüe,
D’ennuis et de pensers est tousjours agité.

J’assemble bien souvent mes paupieres lassées,
J’invoque le sommeil pour guarir mes pensées,
Mais il fuit de mes yeux, et n’y veut demeurer.

D’un seul bien, ô mon lict ! mes langueurs tu consoles,
Je m’ouvre tout à toy, faits, pensers et paroles,
Et je n’ose autre part seulement respirer[2].


VIII


Si la foy plus certaine en une ame non feinte,
Un désir téméraire, un doux languissement,
Une erreur volontaire, et sentir vivement,
Avec peur d’en guarir, une profonde atteinte ;

Si voir une pensée au front toute dépeinte,
Une voix empeschée, un morne estonnement,
De honte ou de frayeur naissans soudainement,
Une pasle couleur, de lis et d’amour teinte ;

Bref, si se mespriser pour une autre adorer,
Si verser mille pleurs, si toujours soupirer,
Faisant de sa douleur nourriture et breuvage ;

Si, loin estre de flamme, et de pres tout transi,
Sont cause que je meurs par defaut de mercy,
L’offense en est sur vous, et sur moy le dommage.


IX


Dès le jour que mon ame, amoureuse insensée,
Se rendant à vos yeux, les fist Roys de mon cœur,
Il n’y a cruauté de barbare vainqueur,
Qu’amour n’ait dedans moy fierement exerçée.

Las ! je tire mon feu d’une roche glaçée,
Qui n’a ny sentiment, ny pitié, ny rigueur :
Elle ignore sa force et ma triste langueur,
Et du mal qu’elle fait n’a soucy ny pensée.

  1. Mer.
  2. Imité d’un sonnet italien qui commence par cette strophe :

    Letto, se per quiete e dolce pace
    Trovato fosti da l’ingegno humano
    Hor perche il corpo mio ti colca in vano,
    E senza requie in le tue pinme giace ?