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M’ayant ainsi blessé, tout joyeux, il s’adresse
A la crainte, aux regrets, au dueil, à la tristesse,
Qui m’assisterent tous à ce malheureux point.

« Voilà, dit-il, pour vous ; je vous le recommande ;
Suivez-le tout par tout, ne l’abandonnez point,
Et faites que tousjours il soit de vostre bande. »


V


Voicy du gay printans l’heureux advenement,
Qui fait que l’hyver morne à regret se retire :
Déjà la petite herbe, au gré du doux zéphyre,
Navré de son amour, branle tout doucement.

Les forests ont repris leur vert accoustrement,
Le ciel rit, l’air est chaud, le vent mollet soupire ;
Le rossignol se plaint, et des accords qu’il tire,
Fait pâmer les esprits d’un doux ravissement.

Le dieu Mars et l’Amour sont parmi la campagne ;
L’un au sang des humains, l’autre en leurs pleurs se bagne ;
L’un tient le coutelas, l’autre porte les dars.

Suive Mars qui voudra, mourant entre les armes !
Je veux suivre l’Amour, et seront mes allarmes,
Les courroux, les soupirs, les pleurs et les regars.


VI


O grand démon volant, arreste la meurtriere
Qui fuit devant mes pas, car pour moy je ne puis ;
Ma course est trop tardive, et plus je la poursuis,
Et plus elle s’avançe, en me laissant derriere.

Ou fay que son vouloir s’accorde à ma priere,
Ou ne me laisse plus en l’estat que je suis ;
Rends moy comme j’estois, sans dame et sans ennuis,
Et delivre ma vie, en ses yeux prisonniere.

Si tu es juste, Amour, tu me dois délier,
Ou par un doux effort ceste dure plier ;
Mais, las ! que mon attente est folle et miserable !

J’importune un tyran, qui de nos maux se plaist,
Qui s’abreuve de pleurs, qui d’ennuis se repaist,
Et plus il est prié, moins il est pitoyable.


VII


O lict ! s’il est ainsi que tu sois inventé
Pour prendre un doux repos, quand la nuict est venue,
D’où vient que dedans toy ma douleur continue,