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Dormant dedans le sein des Muses et des Graces,
Tu nous fis un chemin net et delicieux,
Qui peut, en le suivant, nous mettre dans les cieux.
Ces paroles d’amour qu’Amour t’a revelées,
Plus pures que les lis qui croissent ès vallées,
Sont lis pris sur un mont où personne n’atteint,
Qui ne perdront jamais la couleur de leur teint ;
Car aux jardins du ciel ils ont eu leur naissance,
Et plantez en la terre, à l’honneur de la France,
D’une immortelle main, la mere des Amours
Les va d’une eau de Meurthe arrouser tous les jours.

Escrire encore apres ces paroles divines,
C’est bien aupres des lys approcher les espines ;
Si ce qu’on peut de mieux, c’est de les imiter,
Puis qu’il est impossible, il ne faut plus chanter.

Rare exemple d’amour et des ames fidelles,
Qui mets dans nos esprits des creances nouvelles
De ton sexe, tenu plein d’infidellité,
Belle Anne, qui fais honte à la pudicité
D’une qui, la perdant[1], la rendit eternelle,
Et fit quitter aux Roys leur terre paternelle ;
Qui portes sur le front un printans de beautez,
Ouvrant devant nos yeux des fleurs de tous costez ;
Je ne laisseray pas, belle et chaste maistresse,
Avant que de mourir d’acquiter ma promesse,
Sans espoir du renom des autres attendu.
Et tandis que je vay chercher ce qui t’est deu,
Comme un, qui de l’Amour comme moy tributaire,
Se rencontre en resvant sur une eau solitaire,
Et parmy tous les lieux d’un desert écarté,
Songeant tousjours aux yeux, roys de sa liberté,
Voit dedans le crystal de ceste onde de verre
Les monts, les prez, les bois, comme il fait sur la terre ;
Dans ce livre, tout plein de nos affections,
Contemple mon tourment et tes perfections.

Des Yveteaux[2].


  1. Perdant la honte.
  2. Nicolas Vauquelin, seigneur des Yveteaux, fils du célèbre Vauquelin de la Fresnaie, vint au monde en 1559, et mourut à quatre-vingt-dix ans. Il éleva le duc de Vendôme, fils de Henri IV et de Gabrielle d’Estrées ; plus tard, il devint précepteur de Louis XIII ; mais ses mœurs licencieuses le firent renvoyer de la cour. Il mena dès lors la vie la plus étrange, dans une belle maison du faubourg Saint-Germain, et passa trente-cinq ans avec une joueuse de harpe qu’il avait trouvée évanouie à sa porte. Il a écrit des stances, sonnets, et autres poésies fugitives.