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Se voit dedans l’enclos d’une estroite prison,
Et reduit sous le joug de pointes figurées,
Souffre contre son gré ses bornes mesurées
Par des jeunes esprits, dont le foible cerveau
Veut produire à la cour un langage nouveau,
Qui plaist aux ignorans, et nostre langue infecte
De rymes et de mots pris en leur dialecte.
Et comme ces pourtraits de long-tans commencez,
D’un pinceau delicat craintivement poussez,
Qui ne sont relevez que par la patience,
Monstrent en leur douceur plus d’art que de science
Leurs vers ont par travail plus de subtilité
Que de force requise à l’immortalité,
Semblables aux muguets plus soigneux du visage
Que des effets d’honneur qui partent du courage.
Car, comme ces beaux fils, remplis de vanité,
Recherchent le parfum premier que la santé,
Ces ignorans, fardez de paroles déjointes,
Premier que leur sujet vont rechercher les pointes ;
Si bien que les premiers sont trop pres du berceau,
Les derniers en naissant ont trouvé leur tombeau.
Desportes, tout remply de lumiere et de gloire,
Qui de l’éternité limite sa memoire,
Ny trop pres de la fin ny du commencement,
Seul quand et la fureur a eu le jugement.
Car, pour estre tousjours à lui-mesme semblable,
Il empesche qu’aucun ne luy soit comparable,
Et sans monter trop haut ny trop bas devaler,
Fait qu’estant tout égal on ne peut l’égaller.
L’Amour n’auroit sans luy ny flamme ny cordage ;
Et comme cet Amour débroüilla le nuage
De la masse confuse où tout le monde estoit,
Lors que chasque element sans ordre combatoit,
De tant d’esprits confus cet esprit nous dégage,
Et la France luy doit la reigle du langage.
On devient tout sçavant, quand on sçait l’admirer,
Et cet œuvre si net ne se peut comparer
Qu’à ce chemin de laict que marqua dans la nüe
Ceste belle Junon, quand, dormant toute nüe,
Et sur un lict d’œillets ses nymphes attendant,
Hercule à ses tetins elle trouva pendant,
Et veit à son réveil une sente blanchie,
Des perles de son laict à jamais enrichie,
Et des lys argentez, que la terre conçeut
De la blanche liqueur, qu’apres elle reçeut.

Esprit, qui des plus grans les loüanges surpasses,