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Tout vaincu que je ſuis, craignez de voir paraître
Cet arbitre nouveau qu’on me donne pour maître.

T U L L I E.

Écoutez-moi, cruel, avant que la fureur
Achève d’aveugler votre indomptable cœur :
Les moments nous ſont chers ; et celui-ci, peut-être,
Va flétrir ſur l’airain le jour qui vous vit naître.
Encor ſi, dans les champs où préſide l’honneur,
Où le vaincu ſouvent peut braver le vainqueur,
Je vous voyais chercher une ſorte de gloire,
Je pourrais, ſans rougir, chérir votre mémoire :
Mais ſe donner la mort pour de honteux complots,
Eſt-ce donc là mourir de la mort des héros ?
Je devrais vous haïr ; mais votre mort prochaine
Éteint tout ſentiment de vengeance et de haine.
Mon cœur, de ſes devoirs autrefois ſi jaloux,
Qui, malgré tout l’amour dont il brûlait pour vous,
Se fit de votre perte un devoir légitime,
Ne ſait plus aujourd’hui que pleurer ſa victime.
Barbare, ſi jamais vous fûtes mon amant,
Si la mort vous paraît un frivole tourment,
Craignez-en un pour vous plus cruel : c’eſt moi-même ;
C’eſt une amante en pleurs, qui vous perd et vous aime ;
C’eſt ma douleur, qui va me conduire au tombeau.
Voulez-vous, en mourant, devenir mon bourreau ?