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Si de nos premiers feux vous perdez la mémoire,
Songez du moins, Seigneur, qu’il y va de ma gloire.
Quoi ! Vous pouvez m’aimer, et me ſacrifier
À l’orgueilleux honneur de vous juſtifier !
L’amour vous juſtifie et reprend ſon empire :
Quand mon cœur vous abſout, mon cœur doit vous ſuffire.
Le ſénat contre vous n’a rien fait publier :
Ah ! Laiſſez-moi l’honneur de vous concilier ;
Laiſſez-moi réunir mon amant et mon père.
Hélas ! était-ce à moi d’en parler la première ?
L’amour n’offre donc plus à vos tendres ſouhaits
Aucun bien qui vous puiſſe engager à la paix !
Vous êtes des romains la plus noble eſpérance,
Daignez contre vous-même embraſſer leur défenſe.
De quoi vous plaignez-vous, quand c’eſt vous ſeul, ingrat,
Qui voulez aujourd’hui convoquer le ſénat ?
Si vous vous obſtinez encore à vous défendre,
Le conſul à ſon tour voudra s’y faire entendre ;
Et bientôt vos amis, ardents et furieux,
De carnage et d’horreur vont remplir tous ces lieux.
Voulez-vous mettre en feu la ville infortunée
Que votre amante habite, où votre amante eſt née ?
Laiſſez-moi déſarmer vos redoutables mains ;
Accordez à mes pleurs la grâce des romains ;
Et qu’il ſoit dit du moins de l’heureuſe Tullie
Que le dieu de ſon cœur fut dieu de ſa patrie.

C A T I L I N A.