Page:Œuvres de M. de Crébillon, tome premier, 1750.djvu/85

Cette page n’a pas encore été corrigée

Pour mon père en ſecret vous brûliez, inhumaine !
Et moi ſeul en ces lieux j’exerçais votre haine.
Quoi ! Vous m’abandonnez à mes ſoupçons jaloux !
Suis-je le malheureux ? Madame, l’aimez-vous ?

É R I X È N E.

Moi, je pourrais l’aimer ! Et dans le fond de l’âme
J’aurais ſacrifié mon devoir à ſa flamme !
Dieux ! Qu’eſt-ce que j’entends ? Seigneur, oſez-vous bien
Reprocher à mon cœur l’égarement du ſien ?
Après ce qu’a produit ſa cruauté funeſte,
Qui ? Moi, j’approuverais des feux que je déteſte,
Un amour par le ſang, par les pleurs condamné,
Et devenu forfait dès l’inſtant qu’il eſt né !
Ouvrez vos yeux, cruel ! Et voyez quel ſpectacle
A mis à ſon amour un inviolable obſtacle.
Son crime dans ces lieux eſt partout retracé ;
Le ſang qui les a teints n’en eſt point effacé.
Là, mon père ſanglant vint s’offrir à ma vue,
Et tomber dans les bras de ſa fille éperdue :
Vos yeux comme les miens l’ont vu ſacrifier ;
Faut-il d’autres témoins pour me juſtifier ?
Tout ce que j’ai tenté pour m’immoler ſa tête,
L’oracle révélé, mon départ qui s’apprête,
Ma fierté, ma vertu, cent outrages récents,
Voilà pour mon devoir des titres ſuffisants.