Page:Œuvres de M. de Crébillon, tome premier, 1750.djvu/54

Cette page n’a pas encore été corrigée
I D O M É N É E.

À ma raiſon du moins laiſſe le temps d’agir,
Et combats mon amour ſans m’en faire rougir.
Avec trop de rigueur ton entretien me preſſe :
Plains mes maux, Sophronyme, on flatte ma faibleſſe.
À ce feu que Vénus allume dans mon ſein,
Reconnais de mon ſang le malheureux deſtin.
Pouvais-je me ſoustraire à la main qui m’accable ?
Reſpecte des malheurs dont je ſuis peu coupable.
Paſiphaé ni Phèdre, en proie à mille horreurs,
N’ont jamais plus rougi dans le fonds de leurs cœurs.
Mais que dis-je ? Eſt-ce aſſez qu’en ſecret j’en rougiſſe,
Lorſqu’il faut de ce feu que mon cœur s’affranchiſſe ?
Hé ! D’un amour formé ſous l’aſpect le plus noir
Dans mon cœur ſans vertu quel peut être l’eſpoir ?
Ennemi, malgré moi, du penchant qui m’entraîne,
Je n’ai point prétendu couronner Érixène :
Je m’ôte le ſeul bien qui pouvait l’éblouir ;
De ma couronne enfin un autre va jouir.

S O P H R O N Y M E.

Gardez-vous de tenter un coup ſi téméraire.

I D O M É N É E.

Par tes conſeils en vain tu voudrais m’en diſtraire.
À mon fatal amour, tu connaîtras du moins
Que j’ai donné mon cœur, ſans y donner mes ſoins :