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Le prince Mérion, prompt à m’y devancer,
Sur mon trône peut-être aurait pu ſe placer,
Si mon fils n’eût dompté l’orgueil de ce rebelle.
À Samos, par tes ſoins, j’en reçus la nouvelle.
Je peindrais mal ici les tranſports de mon cœur
Lorſque j’appris d’un traître Idamante vainqueur :
La gloire de mon fils me cauſa plus de joie
Que ne firent jamais les dépouilles de Troie.
Après dix ans d’abſence, empreſſé de revoir
Cet appui de mon trône, & mon unique eſpoir,
À regagner la Crète auſſitôt je m’apprête,
Ignorant le péril qui menaçait ma tête.
Sans que je te rappelle un honteux ſouvenir,
Ni que de nos affronts je t’aille entretenir,
Tu ſais de quels forfaits ma race ſ’eſt noircie.
Comme Paſiphaé, Phèdre au crime endurcie
Ne ſignale que trop & Minos & Vénus.
Tous nos malheurs enfin te ſont aſſez connus.
Né de ce ſang fatal à la déeſſe en proie,
J’avais encor ſur moi la querelle de Troie :
Juge de la vengeance, à ce titre odieux.
Ce fut peu de ſa haine, elle arma tous les dieux.
La Crète paraiſſait, tout flattait mon envie ;
Je diſtinguais déjà le port de Cydonie :
Mais le ciel ne m’offrait ces objets raviſſantſ
Que pour rendre toujours mes déſirs plus preſſants.