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Cruel ! Si c’eſt pour moi que vous l’avez ſauvé.
Venez donc de ce pas immoler un barbare :
Il n’eſt point de forfaits que ce coup ne répare.
835Oreſte ne vit plus : achevez aujourd’hui
Tout ce qu’il aurait fait pour ſa sœur & pour lui.
À l’aſpect de mes fers êtes-vous ſans colère ?
Eſt-ce ainſi que vos ſoins me rappellent mon frère ?
Ne m’offrirez-vous plus, pour eſſuyer mes pleurs,
840Que la main qui combat pour mes perſécuteurs ?
Ceſſez de m’oppoſer une funeſte flamme.
Si je vous laiſſais voir juſqu’au fond de mon âme,
Votre cœur, excité par l’exemple du mien,
Déteſterqit bientôt un indigne lien ;
845D’un cœur que malgré lui l’amour a pu ſéduire,
II apprendrait du moins comme un grand cœur ſoupire ;
Vous y verriez l’amour, eſclave du devoir,
Languir parmi les pleurs, ſans force & ſans pouvoir.
Occupé, comme moi, d’un ſoin plus légitime,
850Faites-vous des vertus de votre propre crime.
Du ſort qui me pourſuit pour détourner les coups.
Non, je n’ai plus ici d’autre frère que vous.
Mon frère eſt mort ; c’eſt vous qui devez me le rendre,
Vous, qu’un ſerment affreux engage à me défendre.
855Ah cruel ! Cette main, ſi vous m’abandonnez,
Va trancher à vos yeux mes jours infortunés.