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 Et plus timide qu’un fan,
Tournera bientôt visage,
Et sera comme un crocan.
Mandez lettres et message
Chez le Goth et l’Alleman,
Et dans tout le voisinage ;
Criez au meurtre, à l’outrage ;
On me pille, on me saccage :
Proposez un arbitrage,
Offrez des places d’otage ;
Eussiez-vous pour partisan
Belzébut, Léviathan,
Et les pages de Satan,
Malgré votre tripotage
Et votre patelinage,
Notre roi, vaillant et sage,
Notre invincible sultan
Ruinera ville et pacage,
Mettra votre or au pillage,
Vos personnes au carcan,
Et vos meubles à l’encan.
Ainsi l’on voit le milan,
À travers ronce et feuillage,
Fondre dessus l’ortolan,
La corneille ou le faisan ;
De même le cormoran
Gobe dans l’eau l’éperlan,
La sardine et le merlan.
Jamais le grand Tamerlan
Ne fit chez le Musulman
Tant de bruit ni de ravage,
Lorsqu’il vainquit le Persan,
Extermina le Soudan,
Et qu’il mit en esclavage
L’illustre mahométan
Qu’il traîna dans une cage.
De son heureux mariage
Avec l’infante du Tage
Doit naître un puissant lignage,
Qui portera le carnage
Jusqu’aux terres du Liban,
Qui détruira l’Alcoran,
Et du monarque ottoman
Arrachera le turban.
Tandis, pour apprentissage,
Il verra dans son bas âge
Louis commencer l’ouvrage,
Lui tracer route et passage,
Et d’un superbe héritage
Augmenter son apanage.
Je ne suis sorcier ni mage,
Mais je prédis, et je gage,
Qu’on verra croître l’herbage
Dans les places d’Amsterdan[1],
Que Dordrecht et Rotterdan[1]
Ne seront qu’un ermitage,
Qu’un lieu désert et sauvage ;
Croyez-moi, pliez bagage,
Rompez trafic et ménage,
Vendez cruches et laitage,
Et passez à l’Indostan,
Dans quelque île de sauvage,
De nègre ou d’anthropophage :
Allez chez le prêtre Jean[2]
Débiter l’orviétan,
La clinquaille et le ruban,
Et faire le personnage
De médecin, d’artisan,
De juif, ou de charlatan.
Mais, ma foi, c’est grand dommage
De s’amuser davantage
À barbouiller cette page
Pour y peindre votre image,
Et chercher depuis Adan[3],
Depuis Sem, Japhet, et Can[3],
Jusques aux neiges d’antan[4],
Toutes les rimes en an,
Pour les avaleurs de bran.
Bonjour, bonsoir, et bon an.
Quand le pinson au bocage
Commencera son ramage ;
Dès que le premier fourrage
Nous permettra le voyage,
Vous verrez que mon présage
N’est rien moins qu’un badinage,
Et qu’un conte de roman.
À vous, marchands de fromage,
À vous, pêcheurs de haran,
Salut, révérence, hommage,
À vous, marchands de fromage.




IV. — STANCES.


JANOT ET CATIN[5].
1675.


Un beau matin,
Trouvant Catin
Toute seulette,
Pris son tetin
De blanc satin,
Par amourette :
Car de galette,
Tant soit mollette,
Moins friand suis pour le certain.
Adonc, me dit la bachelette,

  1. a et b Pour Amsterdam et Rotterdam, par licence poétique.
  2. Souverain imaginaire, auquel on donnait les vastes États que les Portugais plaçaient tantôt au Thibet, ou dans la haute Asie, et tantôt dans l’Abyssinie.
  3. a et b Pour Adam et Cham, par licence poétique.
  4. D’autrefois, des temps anciens, mot dérivé du latin ante annum.
  5. J’ai composé ces stances en vieux style, à la manière du Blason des Fausses Amours et de celui des Folles Amours, dont l’auteur est inconnu. Il y en a qui les attribuent à l’un des Saint-Gelais, je ne suis pas de leur sentiment, et je crois qu’ils sont de Crétin.
    (Note de la Fontaine)