Page:Œuvres de Hégésippe Moreau (Garnier, 1864).djvu/323

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le conquérant éprouva une mésaventure qui faillit le dégoûter à jamais de la manie des conquêtes. Voici le fait : comme il se baissait pour observer les mouvements de l’ennemi, la main appuyée sur un tronc d’arbre et à peu près dans la posture de Napoléon pointant une batterie à Montmirail, le pantalon du général observateur craqua, et se déchira par derrière, où vous savez, laissant pendre et flotter un large bout de la petite chemise que Marthe avait blanchie et repassé la veille. A cette vue, les héros de Montreuil pouffèrent de rire, aussi fort que l’eussent pu faire les dieux d’Homère, grands rieurs comme chacun sait. L’armée se mutina, le général eut beau crier comme Henri IV dont il avait lu l’histoire : « Soldats, ralliez-vous à mon panache blanc ! » on lui répondit qu’un panache ne se mettait pas là, et qu’on ne pouvait, sans faire injure aux couleurs françaises, les arborer sur une pareille brèche ; si bien que le pauvre général brisa sur le dos d’un mutin son bâton de commandant, et rentra dans ses foyers, triste et penaud comme les Anglais abordant à Douvres après la bataille de Fontenoy… Ce nom me rappelle une circonstance que j’aurais eu tort d’omettre, car elle influa beaucoup sur le caractère et la destinée du héros de cette histoire. Un pauvre vieux soldat qui venait de temps en temps chez Marthe, sa parente éloignée, fumer sa pipe au coin de l’âtre, et se réchauffer le cœur d’un verre de ratafia, n’avait pas manqué d’y raconter longuement, comme quoi lui et le maréchal de Saxe avaient gagné la célèbre bataille. Je vous laisse penser si ce récit inexact, mais chaud, avait dû enflammer l’imagination du jeune auditeur. Depuis lors, endormi ou éveillé, il entendait sans cesse piaffer les chevaux, siffler les balles et gronder les canons ; et plus d’une