Page:Œuvres de Hégésippe Moreau (Garnier, 1864).djvu/312

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re de votre vocation ? De quel droit vous proclamez-vous poète ? Est-ce pour avoir quelquefois aligné des alexandrins et accouplé des rimes ? Mais, à ce compte, je suis poète aussi, moi ; mon voisin l’étudiant, mon antipode l’épicier le sont encore ; et mon portier, qui l’est tant soit peu lui-même, balaie tous les matins de la poésie à chaque étage. Prenez garde de vous tromper, et de prendre pour votre étoile un feu follet qui vous conduirait… Dieu sait où ! à la misère, à la honte, à la mort ! Mon état, cousine, me donne le droit de vous parler ainsi. La typographie, voyez-vous, est l’anti-chambre de la littérature, et comme tout valet de grande maison, je regarde quelquefois par le trou de la serrure. L’autre jour, par exemple, le prote me députa chez un auteur qui faisait attendre de la copie. C’était, comme vous, Thérèse, une jeune fille de vingt ans. Je la trouvai malade, au lit, et soignée par sa mère. Elle écrivait. De temps en temps sa tête fatiguée retombait sur sa poitrine, la plume s’arrêtait sous ses doigts amaigris, et alors elle demandait une tasse de café. C’était pour s’inspirer, disait-elle ; mais la perfide liqueur lui versait à la fois la fièvre et l’inspiration, et chaque phrase, chaque vers coûtait à la malade un quart d’heure de vie. « Hâtez-vous, madame, lui avais-je dit étourdiment, car nous attendons, et nous avons besoin de travailler. — Vous avez besoin de travailler, murmura-t-elle en regardant sa mère, et moi donc !… »

« Ceci n’est pas un roman, cousine ; la jeune Muse chantait hier encore ; elle est muette aujourd’hui, et si vous désirez savoir son nom… Silence ! grâce ! dit vivement Thérèse ;

— ce nom, je le connais ; cette histoire, je la sais. Pauvre sœur aî