Page:Œuvres de Hégésippe Moreau (Garnier, 1864).djvu/283

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encore elle partageait au château les biscuits de mon déjeuner. — Depuis dix ans, monseigneur, elle vient dans mon cachot partager mon pain noir. — Jour-de-Dieu ! murmura le jeune prince… » Mais sa colère enfantine s’évanouit devant un sourire malicieux de Nemours. « Je crois, monseigneur, dit le jeune duc, que vous me feriez volontiers l’honneur de rompre une lance avec moi pour les beaux yeux d’une souris. Il m’est impossible en ce moment de répondre au cartel : voyez !… » Et il soulevait aux yeux de son rival ses bras qui pliaient sous les chaînes. Alors s’émut un débat original et touchant entre le fils de Louis XI et le prisonnier de Louis XI, chacun d’eux prétendant surpasser l’autre en malheur : l’un faisant toucher à son adversaire les parois humides et les barreaux épais de sa prison, l’autre peignant l’atmosphère d’ennui et la chaîne vivante de courtisans et d’espions dont le poids l’étouffait ; l’un montrant son corps torturé, l’autre son cœur saignant, et tous deux terminant leur plaidoyer par la même conclusion : « Tu vois bien, Nemours, — vous voyez bien monseigneur, — que j’ai besoin de Blanchette pour m’aider à vivre et à souffrir ». Après une discussion longue et stérile, ils finirent par où ils auraient dû commencer : ils convinrent de prendre l’objet même du débat pour arbitre. « Voyons, mademoiselle, dit le dauphin à Blanchette, déclarez franchement auquel de nous deux vous désirez appartenir ». Et soudain vous eussiez vu la petite souris aller de l’un à l’autre avec force gentillesses, puis s’arrêter entre eux en les regardant tour à tour avec ses petits yeux brillants qui semblaient dire : A tous deux, mes enfants !

Ici, ma sœur, j’éprouve le besoin d’un aveu que j’avais différé