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Moi qui la veille, hélas ! rêvant d’un autre accueil,
Me croyais orphelin sur la foi d’un cercueil.

Mon cœur, ivre à seize ans de volupté céleste,
S’emplit d’un chaste amour dont le parfum lui reste.
J’ai rêvé le bonheur, mais le rêve fut court…
L’ange qui me berçait trouva le fardeau lourd,
Et, pour monter à Dieu dans son vol solitaire,
Me laissa retomber tout meurtri sur la terre,
Où depuis mon regard dans l’horizon lointain
Plongeait sans voir venir le bon Samaritain.
Je veux bien acquitter mes dettes amassées,
Et payer en douleurs mes délices passées,
Dieu ! mais puisque la loi défend de murmurer,
Fais-nous donc des tourments que l’on puisse endurer !
La Pauvreté n’est pas l’hôte que je redoute ;
Je l’aime, c’est ma sœur ; la Faim, sans qu’il en coûte
Une heure à mon sommeil, un vers à mes chansons,
Entre et s’assied chez moi, car nous nous connaissons.
Je n’ai pas convoité sur mon lit d’agonie
L’or du voisin, qui sonne avec tant d’ironie ;
Ce qu’il me faut à moi, ce n’est pas seulement
Le vin de la vendange et le pain de froment ;
Ma prière avant tout demande à Dieu pour vivre
Le pain qui nourrit l’âme et le vin qui l’enivre