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DISCOURS QUATRIÈME. 39

semblent pas tant qu’elles pourroient faire, comme vous voyez que les tailles douces, n’étant faites que d’un peu d’encre, posée çà et là sur du papier, nous représentent des forêts, des villes, des hommes, et même des batailles et des tempêtes, bien que, d’une infinité de diverses qualités qu’elles nous font concevoir en ces objets, il n’y en ait aucune que la figure seule dont elles aient proprement la ressemblance, et encore est-ce une ressemblance fort imparfaite, vu que, sur une superficie toute plate, elles nous représentent des corps diversement relevés et enfoncés, et que même, suivant les règles de la perspective, souvent elles représentent mieux des cercles par des ovales que par d’autres cercles, et des carrés par losanges que par autres carrés, et ainsi de toutes les autres figures ; en sorte que souvent, pour être plus parfaites en qualité d’images et représenter mieux un objet, elles doivent ne lui pas ressembler. Or il faut que nous pensions tout de même des images qui se forment en notre cerveau, et que nous remarquions qu’il est seulement question de savoir comment elles peuvent donner moyen à l’âme de sentir toutes les diverses qualités des objets auxquels elles se rapportent, et non point comment elles ont en soi leur ressemblance. Comme, lorsque l’aveugle, dont nous avons parlé ci-dessus, touche quelques corps de son bâton, il est certain que ces corps