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OBJECTIONS ET RÉPONSES.

montrer qu’une chose est réellement distincte d’une autre on puisse rien dire de moins, sinon que par la toute-puissance de Dieu elle en peut être séparée : et il m’a semblé que j’avois pris garde assez soigneusement à ce que personne ne pût pour cela penser que l’homme n’est rien qu’un esprit usant ou se servant du corps.

Car même dans cette sixième Méditation, où j’ai parlé de la distinction de l’esprit d’avec le corps, j’ai aussi montré qu’il lui est substantiellement uni ; et pour le prouver je me suis servi de raisons qui sont telles que je n’ai point souvenance d’en avoir jamais lu ailleurs de plus fortes et convaincantes. Et comme celui qui diroit que le bras d’un homme est une substance réellement distincte du reste de son corps ne nieroit pas pour cela qu’il est de l’essence de l’homme entier, et que celui qui dit que ce même bras est de l’essence de l’homme entier ne donne pas pour cela occasion de croire qu’il ne peut pas subsister par soi, ainsi je ne pense pas avoir trop prouvé en montrant que l’esprit peut être sans le corps : ni avoir aussi trop peu dit en disant qu’il lui est substantiellement uni ; parceque cette union substantielle n’empêche pas qu’on ne puisse avoir une claire et distincte idée ou concept de l’esprit seul, comme d’une chose complète ; c’est pourquoi le concept de l’esprit diffère beaucoup de celui de la superficie et de la ligne, qui ne peuvent