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OBJECTIONS ET RÉPONSES.

y être. Car de vrai il ne se peut pas faire que nous n’expérimentions tous les jours en nous-mêmes que nous pensons ; et partant, quoiqu’on nous fasse voir qu’il n’y a point d’opérations dans les bêtes qui ne se puissent faire sans la pensée, personne ne pourra de là raisonnablement inférer qu’il ne pense donc point ; si ce n’est celui qui, ayant toujours supposé que les bêtes pensent comme nous, et pour ce sujet s’étant persuadé qu’il n’agit point autrement qu’elles, se voudra tellement opiniâtrer à maintenir cette proposition : l’homme et la bête opèrent d’une même façon, que lorsqu’on viendra à lui montrer que les bêtes ne pensent point, il aimera mieux se dépouiller de sa propre pensée laquelle il ne peut toutefois ne pas connoître en soi-même par une expérience continuelle et infaillible, que de changer cette opinion, qu’il agit de même façon que les bêtes. Je ne puis pas néanmoins me persuader qu’il y ait beaucoup de ces esprits ; mais je m’assure qu’il s’en trouvera bien davantage qui, si on leur accorde que la pensée n’est point distinguée du mouvement corporel, soutiendront, et certes avec plus de raison, qu’elle se rencontre dans les bêtes aussi bien que dans les hommes, puisqu’ils verront en elles les mêmes mouvements corporels que dans nous ; et, ajoutant à cela que la différence, qui n’est que selon le plus ou le moins, ne change point la nature des choses, bien