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OBJECTIONS ET RÉPONSES.

ment ce que M. Descartes dit touchant la distinction qui est entre l’imagination et la conception pure ou l’intelligence ; et que ç’a toujours été mon opinion, que les choses que nous concevons par la raison sont beaucoup plus certaines que celles que les sens corporels nous font apercevoir. Car il y a long-temps que j’ai appris de saint Augustin, chap. XV, de la quantité de l’âme, qu’il faut rejeter le sentiment de ceux qui se persuadent que les choses que nous voyons par l’esprit sont moins certaines que celles que nous voyons par les yeux du corps, qui sont presque toujours troublés par la pituite. Ce qui fait dire au même saint Augustin dans le livre Ier de ses Soliloques, chapitre IV, qu’il a expérimenté plusieurs fois qu’en matière de géométrie les sens sont comme des vaisseaux. « Car, dit-il, lorsque, pour l’établissement et la preuve de quelque proposition de géométrie, je me suis laissé conduire par mes sens jusqu’au lieu où je prétendois aller, je ne les ai pas plus tôt quittés que, venant à repasser par ma pensée toutes les choses qu’ils sembloient m’avoir apprises, je me suis trouvé l’esprit aussi inconstant que sont les pas de ceux que l’on vient de mettre à terre après une longue navigation. C’est pourquoi je pense qu’on pourroit plutôt trouver l’art de naviguer sur la terre, que de pouvoir comprendre la géométrie par la seule entremise des sens,