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précisément que cela seul qui est entièrement certain et indubitable. Qu’est-ce donc que j’ai cru être ci-devant ? Sans difficulté, j’ai pensé que j’étois un homme. Mais qu’est-ce qu’un homme ? Dirai-je que c’est un animal raisonnable ? Non certes ; car il me faudroit par après rechercher ce que c’est qu’animal, et ce que c’est que raisonnable ; et ainsi d’une seule question je tomberois insensiblement en une infinité d’autres plus difficiles et plus embarrassées ; et je ne voudrois pas abuser du peu de temps et de loisir qui me reste, en l’employant à démêler de semblables difficultés. Mais je m’arrêterai plutôt à considérer ici les pensées qui naissoient ci-devant d’elles-mêmes en mon esprit, et qui ne m’étoient inspirées que de ma seule nature, lorsque je m’appliquois à la considération de mon être. Je me considérois premièrement comme ayant un visage, des mains, des bras, et toute cette machine composée d’os et de chair, telle qu’elle paroît en un cadavre, laquelle je désignois par le nom de corps. Je considérois, outre cela, que je me nourrissois, que je marchois, que je sentois et que je pensois, et je rapportois toutes ces actions à l’âme ; mais je ne m’arrêtois point à penser ce que c’étoit que cette âme, ou bien, si je m’y arrêtois, je m’imaginois qu’elle étoit quelque chose d’extrêmement rare et subtil, comme un vent, une flamme ou un air très délié, qui étoit