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LETTRES AU SYSTÈME.

Vous vous êtes substitués, vous, à la vieille noblesse. Vous avez laissé ce qu’elle avait de vaine gloire, et vous avez pris ce qu’elle avait d’avantages réels. Vous avez jeté l’habit, mais vous avez eu bien soin d’enlever ce qu’il y avait dans les poches. Vous ne vous ruinez pas, vous, en fêtes magnifiques, en meutes, en équipages, en grands laquais galonnés. Vos pères étaient d’imperceptibles bourgeois de province, des molécules de sentiers, et vous, vous laissez à vos fils des héritages de grand seigneur. Vous ne faites point bâtonner les huissiers par votre valetaille, vous payez exactement, et par douzième, votre part du budget ; mais le budget est pour vous un pique-nique où vous apportez une alouette et où vous dévorez un dindon. Les mouches de l’émigration étaient rassasiées de notre sang ; mais vous, moucherons de juillet, vous êtes venus fondre sur nous, plus âpres, plus dévorants, en nuages plus épais que la sixième plaie de l’Égypte.

Selon vous, nous sommes des brutes qui n’avons que l’instinct de l’obéissance, d’imbéciles moutons qui viennent se prosterner d’eux-mêmes sous les vastes cisailles du budget, et n’osent bêler quand on les égorge ; de stupides bœufs qui se laissent mener, par un enfant, de leur vaste prairie à l’abattoir. Ah ! vous ne sauriez trop nous mépriser. Monseigneur ; nous sommes des brutes, en effet, nous qui… Cependant, nous comprenons bien que le privilège dont vous jouissez tourne à notre détriment. Et si nous avions de la capacité, qu’en ferions-nous ? Combien d’entre nous qui avaient de la capacité, et qui sont morts d’une longue suite de misères dans vos hospices ! combien d’entre nous qui ont de la capacité, et qui subissent les tortures de la faim dans vos greniers ! J’ai connu, moi, de jeunes hommes qui avaient de la capacité, et qui enviaient, aux animaux de vos ménageries, la nourriture et l’abri que vous leur donnez. Cette capacité, elle serait pour nous un malheur de plus ; notre sort serait celui de l’oiseau cloué par les ailes à une porte cochère, et qui respire en regardant le vaste ciel.

Cette capacité, la dirigerions-nous vers les emplois publics ?