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LETTRES AU SYSTÈME.

que de droits politiques. Je vous reconnais bien à ce langage. Vous êtes de l’école de M. Dupin le positif, ou plutôt M. Dupin est de votre école. Vous ne connaissez de bonheur que celui qui se touche, qui se perçoit ; dans un citoyen, vous ne voyez que des mains qui travaillent et un estomac qui digère. Selon vous, un peuple n’a plus rien à réclamer quand il fait régulièrement ses quatre repas. Ultra-philanthrope ! vous feriez mourir le peuple d’une gastrite, si le gouvernement, convaincu qu’il est que le pain n’est pas plus nécessaire au peuple que les droits politiques, n’y mettait bon ordre. Mais le peuple a une âme aussi bien qu’un corps, une âme dont les misères sont intérieures, et un corps dont les joies sont apparentes ; quand les plus nobles passions de cette âme sont froissées, quand le dédain et l’humiliation y font tous les jours leur plaie, qu’importe que le corps s’épanouisse et soit en bonne chair ? N’est-ce pas que Caton, après la prise d’Utique, et Brutus, après la bataille de Philippes, eussent pu être, dans Rome asservie, des esclaves encore fort aisés, qu’ils auraient pu avoir encore des robes de pourpre, de l’or et de l’argent ciselé, des lits moelleux et un grand nombre de sous-esclaves ? Mais la liberté était perdue ; ces deux grands citoyens n’ont pu traîner, jusqu’aux limites naturelles de la vie, le fardeau de leur servitude. Vous voyez donc bien que l’esclavage, même avec la richesse, a encore ses misères !

Si vous ne voulez que la satisfaction des intérêts matériels, un pouvoir absolu, mais fort, est plus fécond en prospérités matérielles qu’une liberté toujours agitée. Vous savez ce qu’a coûté au commerce l’enfantement du ministère. Allons donc prier la royauté citoyenne qu’elle se fasse autocratie.

Le pain est bon sans doute, surtout quand il est blanc ; mais les droits politiques aussi valent quelque chose. Les droits politiques donnent du pain au peuple qui, après les avoir conquis, a su les conserver. Si le peuple était souverain, il ne se laisserait point couper sa tartine comme un enfant. La réforme politique amènerait la réforme de bien des abus.